>LA CYCLO RANDONNÉE, LE VOYAGE À VÉLO, LE VELO TOUT COURT, réflexions autour de ce sujet, en vrac en abondance.

 

Gardons les pneus sur terre

 

Qui sont les cyclistes ?
   

 

GARDONS LES PNEUS SUR TERRE, par Nicolas

Lorsque nous avons commencé à prendre nos vélos pour partir en vacances, nous étions très fiers. Fièrs de nous à la limite de l'arrogance car nous penssions avoir découvert l'eau chaude en partant avec ce mode de locomotion. Enfin quoi, c'est pas tout le monde qui peut le faire ! Faut quand même en avoir dans le slip pour partir comme ça sur les routes, à l'aventure, à la force du mollet et respectueux de la nature et des gens... bref soyons modestes, nous étions des gens formidables, nous avions trouvé, à force de volonté, le moyen de nous extirper de la masse et de découvrir le monde intelligement... Et cette arrogance était d'autant plus exacerbée qu'en parfaits ignorants de ce qui se faisait déjà en cyclocamping, nous avons imaginé avoir inventé la chose.

Mais quelques centaines de millier de tour de pédales plus tard, ayant eu pour conséquence de nous translater sur quelques milliers de Kilomètres sur les routes et les chemins terrestres, les choses évoluent un peu. Peut être que l'exercice physique et favorable au relachement de la connerie, il n'empèche qu'aujourd'hui il est temps de dégonfler un peu les rayons.

Alors voila, le constat est le suivant. Il est valable pour nous bien entendu puisque c'est nous qui le faisons, mais aussi pour toi, potentiel petit cyclotouriste plein d'exaltation et de belles idées philantropiques à connotations écologiques : nous sommes des cyclo-rando-campeurs au petit moyen ou long court, certe, et on peut s'en féliciter, mais nous restons avant tout (et dommage si ça fait mal aux fesses) des Touristes. Nous qui nous nous enorgueuillions de nous exclure justement de cette masse informe (voire adipeuse) et répugnante, voila que le mythe se brise, et que la fierté retrouvée avec la découverte du vélo, s'envole et nous renvoit au point de départ. Certe on peu s'accorder le fait que nous ne sommes pas tout à fait similaire au touriste lambda et que nos efforts pour essayer de voyager plus proprement sont respectables. Je peux même nous accorder le fait que d'une certaine manière nous pouvons être un "exemple" et que si tout les touristes avaient un peu cette déontologie, peut être que la planète irait moins vite à la catastrophe (en moyenne 20 km/h contre mac 2...), mais j'enfonce le clou, mis à part de menus détails nous sommes de beaux touristes et pas des aventuriers éclairés, héritiers de Marco Polo ou de théodore Monod. En voici la démonstration :

D'abord n'as tu pas remarqué, que partout où tu passes tu n'es pas le premiers? Qu'on trouve toujours un "compatriote occidental" là où on pensait être le premier et encore plus souvent dans les installations de confort (dont tu n'abuses pas c'est sûr, mais dont tu ne te refuse pas l'accès de temps en temps). Auberge de jeunesse, internet café et autres points informations sont autant de signes de ton appartenance au genre homo touristicus. C'est vrai que toi tu es venu en vélo alors que eux, au mieux ils sont venu en vols réguliers, se fondant d'une certaine manière avec certains locaux voyageurs, au pire ils ont pris un vol charter revendiquant alors leur statut de touristes venus en masse profiter du pays. Hélas, pour nous c'est la même chose, à moins de pousser le vice cyclopédique à traversser les océans en pédalo, on est bien obligé aussi d'emballer de temps en temps notre monture écologique pour la glisser dans un gros avion gourmand en kérosène et polluant gentillement l'atmosphère. Comme un touriste quoi !

Et puis, on a beau partir avec des budgets super serrés, qui bien souvent nous comdamnent à la ration de pates quotidienne (si on peut dire que manger régulièrement à sa faim est une peine!), on est toujours le riche de quelqu'un. Quand tu jalouses ou regardes avec dédain le nanti qui se paye des vacances hors de prix (et que tu te dis que celui là il n'a rien compris à la vie...) dis toi bien que tu es souvent dans sa situation. Combien de personne dans le monde peuvent arrêter de travailler pendant une semaine, un mois, une année pour partir en vadrouille sur les routes? Comment ne pas être considéré comme des riches (peut être aussi un peu fous) touristes quand rien que le prix de ta monture en acier chro mo et des sacoches allemandes (hors de prix) qui y sont accrochées permettrait de faire vivre tout une famille pendant une année dans pas mal de pays que tu traverses. Si tu crois ne plus en être dans ton pays, accepte de n'être rien d'autre qu'un touriste dans celui des autres....

Enfin ne soyons pas hypocrites, le but principal de tous voyage (et je pense le seul mis à part ce qu'on peut dire) et purement égoïste. On ne part (c'est autant vrai en vélo qu'à pied qu'en avion...etc) que pour se faire plaisir et parce qu'on en a envie. Les histoires et pretextes pseudo humanitaires "à la rencontre de l'autre" ne sont là souvent que pour décrocher les bourses, (le cas échéant) car si un jour pendant ton voyage l'autre te fait chier ou veut te piquer ton portefeuille tu hesiteras surement à le rencontrer. Et les rencontres que tu feras (aussi interessante et humaines soient-elles) ne serons en général pas désinteressées pour toi ( hébergement, nourriture....). Soyons honnêtes, partir en vélo sauver le monde c'est un peu se foutre de la gueule du monde (c'est comme traverser l'atlantique à la rame, je n'ai jamais compris en quoi cela fait avancer le schmilblic...). Mère thérésa n'a pas eu besoin de vendre ses kilomètres parcourus en vélo pour se retrouver en Inde... Quand on part c'est pour soi... je ne crois pas que les expeditions montées avec le vélo en fil conducteur puissent changer les choses, mais elles peuvent nous changer nous, et c'est au retour dans nos pays dans notre comportement de tous les jours que le bénéfice peut se faire sentir...

Bon j'abrège. Cher cyclo, tu restes touriste. Mais on peut rester fier. Ca n'est pas parce qu'on est un voyageur occidental qu'on est forcement un imbécile. Je prefère largement un cyclo randonneur qui voyage en touriste, qui ne se la pète pas trop avec des pseudo discours humanistes, qui se fait plaisir sur son vélo et qui tente à sa petit échelle de vivre et de voyager le plus respectueusement possible des gens et de l'environnement que l'imbécile "traveler" qui renie sa société ne jurant que par les valeurs romantiques du tiers monde (souhaitant que ces derniers n'accedent pas à la consommation pour ne pas se travestir....).

Rouler sur la terre c'est très bien. Mais contentons nous déjà de bien rouler, en simplicité. Toutes les valeurs du cyclo camping réside dans l'humililité. Il n'y a plus grand chose à inventer, tout s'est déjà fait. Alors restons humbles et n'oublions pas de se saluer sur les routes, qu'on soit en randonnée d'une semaine d'un mois ou d'une année....

 

 

 

QUI SONT LES CYCLISTES ?
Le téléphone sonne et les oreilles des cyclistes tintent.
mercredi 19 octobre 2005.


 
L’autre soir sur France-Inter l’émission « le téléphone sonne » était consacrée aux problèmes des deux roues. Une vraie pièce de théâtre radiophonique avec dans le rôle du muet du sérail le représentant du gouvernement, dans celui du traître le Monsieur vélo de la mairie de Paris, la représentante de la FUBICY dans le rôle de la victime expiatoire et un motard en colère qui jouait les chevalier blanc et , pour un peu, aurait changé son gros cube pour un vélo.... Echanges polis, réponses sans intérêt aux questions classiques, on s’acheminait doucement , chacun dans son rôle, vers la fin de l’émission quand l’animateur, rigolard, annonce que le studio reçoit un grand nombre de courriels incendiaires stigmatisant le comportement incivique des cyclistes et que les termes de ces messages sont si violents qu’ils ne peuvent être rapportés à l’antenne....


Enfin nous étions arrivés à l’os, à la vraie question, la seule, celle qu’on n’ose poser. Pourquoi autant d’hostilité de la part du « peuple de la voiture » envers des gens qui ne prennent, après tout, que 2 % de leur espace vital ?
C’est ce bloc de haine affleurant mais de plus en plus visible qui pourrait bien expliquer la pusillanimité d’un Alduy, les hésitations d’un Delanoé et les contorsions discursives de nos politiques en général.


C’est que pour la masse-automobile, le cycliste est à la fois un mystère et une menace, une forme inclassable dans ses catégories mentales, il est une provocation en soi, un défi et un déni de progrès. Le cycliste fait surgir de la mémoire obscure du peuple de la voiture la figure inquiétante de l’anarchiste, d’une intelligence maléfique toute entière tendue vers la destruction de l’ordre social.
Anthropologiquement, il est l’étranger, le barbare, celui qui ne parle pas notre langue, ne vénère pas nos dieux et n’a cure de nos lois. Il ne peut qu’être dans la transgression -il roule quand les autres sont à l’arrêt, il emprunte les sens interdits, franchit les feux, escamote les frontières urbaines, devient subitement piéton pour filer et disparaître sur ses deux roues sans bruit avec l’agilité de l’animal. Son aptitude à changer de forme -tantôt véhicule lent, tantôt piéton accompagné d’un vélo-, n’a d’égal que sa capacité à changer de territoire ; le cycliste est insaisissable, il est sans lieu, il s’accommode de tous les parcours (chemins de terre, chaussées, parc urbain, etc.), il n’appartient pas à la Cité puisque aucun espace dans la ville ne lui est assigné. C’est un nomade, un barbare bariolé qui inquiète. Comme l’animal ou le nomade, il est maigre, toujours en éveil, aux aguets, et comme eux, il ignore ce que sont la chaleur, le froid ou les intempéries ; il refuse le confort des véhicules climatisés et les bienfaits de notre civilisation matérielle. Comme le sauvage il est nu et sans protection -mais songe-t-il seulement à se protéger ?- il confie sa vie à des médailles luminescentes, bracelets et autres grigris du même genre. Tout sépare la communauté auto-citoyenne, rationnelle, adossée à des siècles de progrès, de ces hommes et de ces femmes-vélos.


La distance se lit jusque dans la posture corporelle des uns et des autres comme elle se lit entre le nègre et le missionnaire, l’enfant et le maître, l’ouvrier et le patron.


Dans le déplacement le cycliste met en jeu un corps-machine ; ses jambes sont des bielles, il s’emploie quand ça monte, tourmente son corps penché vers l’avant ; son « expressivité » corporelle est à l’opposé de ce que l’on désigne par « civilisation des mœurs » qui veut que ce corps -trop présent- soit mis à distance dans la vie sociale. Pas de corps tordus ou suant, rien que du parfait sur papier glacé si possible-. La voiture vient fort heureusement adoucir cette obligation sociale pour l’automobiliste en opérant une sorte de miracle : le déplacement dans une quasi immobilité. Seule la partie supérieure du corps est visible pour l’image sociale, le buste est redressé, le visage figé, le regard « raibannisé ». Les inter-actions indésirables sont, par la même, exclues. Si le cycliste renvoie une image de désordre corporel, d’agitation, l’automobiliste , au contraire ,maîtrise son image sociale -celle de la décence-, celle qui fait norme. Rien d’étonnant, après tout, que le peuple des automobilistes ressente instinctivement de la méfiance pour ce personnage furtif qui s’est glissé dans les murs, qui est à ranger dans la catégorie de l’enfant, du primitif et du prolétaire, autrement dit, des groupes sociaux qu’il faut éduquer ou contenir.

Mais la source de la haine n’est peut être pas dans l’étrangeté radicale de l’usager du vélo ; elle pourrait bien avoir son origine dans la conscience malheureuse du peuple de la voiture. Car, comme souvent dans l’Histoire, c’est l’angoisse et la frustration qui alimentent l’agressivité des foules. En effet, l’époque est décevante, elle ne tient pas ses promesses, le rêve de la croissance illimitée s’est brisé et les lendemains ne chantent plus. La crise du pétrole d’aujourd’hui n’a rien de conjoncturel -elle diffère radicalement de la crise de 73- et on ne reverra plus le baril à 11$. Pour l’automobiliste qui se prive déjà pour faire rouler son engin, l’avenir est gros de menaces et la mémoire d’un passé de pauvreté fait retour. Avec cette mémoire, la peur de la démotion sociale, de la descente, de la perte de statut, fait son chemin sous le crâne de l’homme-auto. La précarité professionnelle, relationnelle s’installe au cœur de la Cité. Les certitudes s’effritent, On peut appeler ça unele téléphone sonne crise sociale. Le cycliste urbain est le symbole de cette crise ou tout du moins, il la signifie fortement aux yeux de l’automobiliste. La vision du cycliste n’a pas valeur de proposition sociale à la crise, elle renvoie seulement à une perte, à l’inacceptable.
Ces mutations sociales et techniques, l’Histoire en a connu, avec leurs grandes peurs et leurs cohortes de pénitents. Les masses se resserrent alors et font face courageusement à l’adversité. Les responsables, ceux qui sont à l’origine du Malheur sont là, minorités voyantes ou discrètes, qui peuvent endosser la souffrance de la société. Ceux ou celles qui enfourchent un vélo comme jadis celles qui enfourchaient un balai peuvent faire l’affaire, et, s’ils sentent la sueur -aux dires des automobilistes- ils sentent plus certainement le soufre et le fagot.
Pourtant, ces immigrés invités dans la république de la bagnole se multiplient ; ils font beaucoup d’ enfants ; seraient-ils dotés comme les sorcières, les juifs et les nègres d’une hyper-sexualité ? Fort heureusement ce n’est pas le cas, ils seraient -d’après une étude scientifique menée par le Dr Goldstein- promis à l’extinction rapide, le vélo nuisant gravement à la libido des hommes et des femmes 
!